15 mai 2025 – Tribune collective « La reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France est désormais une urgence » publiée sur Le Monde

Tribune collective signée par Arié Alimi et Evelyne Sire-Marin, vice-présidents de la LDH

Lire la tribune sur le Monde

Si Emmanuel Macron a eu des paroles d’ouverture sur la reconnaissance de l’Etat palestinien, la concrétisation de celles-ci semble vague : rassemblant des élus, syndicalistes, universitaires ou responsables associatifs, une tribune collective au Monde, clame que ce geste est indispensable alors que Gaza est suppliciée et la Cisjordanie émiettée.

Alors que la guerre fait rage à Gaza sous siège total, que les civils sont massacrés, les humanitaires ciblés, les infrastructures vitales systématiquement détruites, une évidence s’impose : la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France n’est plus une option diplomatique parmi d’autres. Elle est un impératif moral, une nécessité politique, une exigence stratégique.

Depuis des mois, les appels à la désescalade restent lettre morte. Le processus de paix est en ruine. La population palestinienne, abandonnée par les grandes puissances, subit une violence paroxystique. Dans ce contexte, la France, terre de la Déclaration des droits de l’Homme, membre permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), pays influent au sein de l’Union européenne (UE), doit poser un acte clair : reconnaître officiellement l’Etat de Palestine.

Ce geste, conforme au droit international et aux résolutions onusiennes, ne serait ni isolé ni symbolique. A ce jour, 148 des 193 Etats membres de l’ONU reconnaissent l’Etat de Palestine. Au sein de l’UE, la Suède a ouvert la voie dès 2014, rejointe récemment par l’Espagne, l’Irlande, la Norvège et la Slovénie. D’autres pays s’apprêtent à le faire.

Rôle moteur

Il est temps que la France joue de nouveau un rôle moteur dans ce mouvement de justice et de lucidité. En 2014, les deux Chambres de son Parlement ont adopté des résolutions en faveur de cette reconnaissance. Plus de dix ans plus tard, cette volonté exprimée démocratiquement n’a toujours pas été suivie d’effet. Pourtant, les raisons invoquées pour justifier les atermoiements se sont effondrées face à la gravité de la situation actuelle.

Cette reconnaissance s’inscrirait dans la continuité d’un engagement que la France assume depuis des années dans les enceintes multilatérales. En 2011, elle a voté en faveur de l’adhésion de la Palestine à l’Unesco, contribuant à son admission comme Etat membre à part entière. Récemment, le 18 avril 2024, lors d’un vote au Conseil de sécurité visant à faire de la Palestine un Etat membre de plein droit de l’ONU, la France a voté pour.

Le 18 septembre 2024, lors du vote positif de la France à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies faisant suite à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 19 juillet 2024, le représentant permanent de la France a réaffirmé son attachement à la solution à deux Etats, seule façon de garantir à long terme la sécurité d’Israël, et déclarait que cela impliquait la création d’un Etat palestinien. Ce soutien explicite doit se traduire politiquement sur le plan bilatéral. Comment justifier que la France soutienne l’adhésion de la Palestine à l’ONU tout en refusant de reconnaître cet Etat ?

Début avril, dans l’avion qui le ramenait du Proche-Orient, le président de la République a évoqué la possibilité de la reconnaissance de l’Etat palestinien. Mais cette perspective est désormais une urgence. La conférence internationale coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, en juin, aux Nations unies, ne peut se contenter d’un énième exercice diplomatique sans conséquence. Elle doit marquer un tournant.

Reconnaître l’Etat de Palestine n’est en aucun cas remettre en question le droit d’Israël à vivre en sécurité, mais c’est affirmer que ce droit est indissociable de celui des Palestiniens à la liberté et à l’autodétermination. Car il n’y aura pas de paix durable sans justice. Et il n’y aura pas de justice sans reconnaissance du peuple palestinien dans ses droits fondamentaux, dont celui de disposer d’un Etat viable et souverain, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale.

La France ne peut plus rester prisonnière d’un paradoxe diplomatique intenable : proclamer son attachement à la solution à deux Etats, tout en refusant de reconnaître l’existence de l’un de ces deux Etats. Cette contradiction affaiblit la position française et nourrit le cynisme ambiant. Il est temps de sortir de cette ambiguïté.

La reconnaissance de l’Etat de Palestine, acte de justice, est également un levier pour enrayer la poursuite de l’occupation militaire israélienne et de la colonisation de peuplement. Aujourd’hui, la Cisjordanie et Jérusalem-Est, territoires devant faire partie du futur Etat palestinien, sont occupés par près de 800 000 colons israéliens, rendant la pleine souveraineté du futur territoire de moins en moins réalisable.

La Palestine est devenue un gruyère, où les possibilités de créer un Etat viable, aux frontières continues, se réduisent comme peau de chagrin. Reconnaître la Palestine aujourd’hui, c’est agir pour stopper et revenir sur ce processus de fragmentation et de dépossession, et pour garantir la condition de possibilité d’un futur Etat palestinien.

Message clair

Lors d’une réunion du Conseil de sécurité, le 29 avril, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a averti que la solution à deux Etats était sur le point de s’effondrer et « proche du point de non-retour ». Un compte à rebours est déclenché, chaque jour compte. En reconnaissant l’Etat de Palestine maintenant, ou au plus tard lors de la rencontre programmée de juin, la France adresserait un message clair à la communauté internationale : le droit international n’est pas négociable, n’est pas à géométrie variable. L’occupation d’un territoire voisin est inacceptable, que ce soit en Ukraine ou en Palestine. Cela redonnerait à la voix française sa cohérence, sa crédibilité et son autorité morale.

Le président de la République doit prendre cette décision attendue, légitime, nécessaire. Il y a des moments où les grandes nations se révèlent. Reconnaître l’Etat de Palestine est de ceux-là. Il appartient à la France de ne pas laisser passer cette occasion d’écrire une page juste et forte de son histoire.

Premiers signataires : Arié Alimi, avocat et vice-président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT ; Eric Coquerel, député (LFI) de la Seine-Saint-Denis, président de la commission des finances ; Olivier Faure, premier secrétaire du PS ; Fabien Gay, sénateur (PCF) de la Seine-Saint-Denis et directeur de « L’Humanité » ; Abdessalam Kleiche, coprésident de la plateforme Voices and Bridges for Peace, coresponsable de la commission paix et désarmement chez Les Ecologistes ; Vincent Lemire, historien spécialiste d’Israël et de la Palestine, maître de conférences à l’université Gustave-Eiffel ; Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT ; Raymonde Poncet-Monge, sénatrice (Les Ecologistes) du Rhône, vice-présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Palestine ; Evelyne Sire-Marin, vice-présidente de la LDH ; Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes.

Soutenez les combats de la LDH

Les droits et les libertés ça n’a pas de prix, mais les défendre a un coût.

OSZAR »